• Chapitre 3 : Quand tout ça m'a dépassé, j'ai un peu déchanté.

     

          Je suis rentré chez moi assez tard le soir, après avoir passé l'après-midi à refaire le monde avec ma meilleure amie en riant pour tout et pour rien. Un petit moment simple et posé comme je les aime. Mon petit-frère et mes parents étaient déjà rentrés quand je suis arrivé et ma mère ne savait pas trop quoi faire à manger, alors forcément j'ai sauté sur l'occasion pour lui proposer mon plat préféré …

     

    - Du confit de canard !

     

          Avouez, vous auriez fait pareil à ma place. D'abord parce que c'est quand même le truc le meilleur de la Terre. Ensuite parce que même si on en avait mangé deux jours avant, on ne fait jamais d'excès de confit ! Bon, je savais d'avance qu'elle allait refuser, justement parce qu'on avait déjà eu ça au menu pas longtemps avant. Mais juste au moment de me dire non, elle m'a regardé et a semblé hésiter. Sans m'en rendre compte, j'ai mis toute la persuasion possible dans ma voix et j'ai répété :

     

    - On pourrait manger du confit de canard avec des frites, non ?

    - Hmm … Oui, tu as raison, a-t-elle simplement répondu.

     

          Je l'ai regardée avec des grands yeux étonnés. Si j'avais pu lever un seul sourcil comme Alixe sait le faire, je l'aurai fait. Mais je ne sais pas, alors je me suis contenté d'ouvrir de grands yeux. Au même moment, mon petit-frère a bondi du canapé et s'est agrippé à mon bras en poussant des petits cris de joie du style « ouaiiiis on va manger du confiiit ! ». J'étais super content aussi alors j'ai rien dit, mais quand j'y repense ça fait quand même vachement penser à la Force, ce qui s'est passé ! Vous savez, du genre « Tu vas préparer un confit de canard avec des frites ... » et là l'autre répète d'une voix robotique : « Je vais préparer un confit de canard avec des frites ... ». Pourtant, ça n'avait aucun rapport (à ce stade de l'histoire je ne peux pas le savoir, mais à l'instant où j'écris ça je le sais, donc vous pouvez me croire). On peut résumer ça à : j'ai fait preuve d'un charisme tout neuf qui m'a rendu très convaincant.

     

          Après le repas, en allant me coucher et au moment de mettre une série pour m'endormir, j'ai repensé à la prémonition d'Alixe. Est-ce que ça pouvait avoir un rapport avec ce qui s'était passé au repas ? Je lui ai envoyé un petit message pour le lui raconter et elle m'a répondu immédiatement qu'elle allait le noter dans son carnet, après le rêve qu'elle avait aussi consigné. C'était bien son genre de tenir un carnet pour ce genre de trucs, où de raconter ses rêves dans son journal intime. Ça m'a fait sourire. En même temps, j'étais quand même un peu content qu'elle le fasse. Au moins, on aurait une trace écrite de tout ça si sa prémonition continuait de se réaliser.

     

          Juste avant de sombrer dans le sommeil, je me suis fait la remarque que croire aux rêves prémonitoires revenait à croire aux horoscopes. Débile. Et tout naturellement, je me suis dit que ce qui fait la force d'un horoscope, c'est le côté très « peu détaillé » des événements qu'on vous prédit. Finalement, qu'est-ce qui me prouvait que je n'étais pas juste en train d'adapter un événement banal à ce que j'attendais qu'il se produise ? Du style « aujourd'hui, le monde vous sourit » et là paf, tu as une voiture qui s'arrête du premier coup au passage piéton et tu es persuadé que ton horoscope disait la vérité. Peut-être que j'avais fait pareil …

     

    ***

     

          J'étais décidé à réessayer mon pouvoir de persuasion dans les jours suivants, histoire d'être sûr. Du coup, le lendemain matin je me suis levé en pleine forme et j'ai filé au boulot de super bonne humeur. Si j'avais été un peu moins empressé j'aurai pris le temps de regarder mon téléphone et de voir que j'avais un message d'Alixe. Mais bon, ça n'a pas été le cas.

     

          Du coup, en arrivant au travail j'ai un peu tenté le tout pour le tout en demandant à ma patronne de remplacer une de mes collègues pour son déplacement dans un autre magasin. Je savais que j'aurai le droit à une prime si je me déplaçais. La patronne m'a regardé comme si j'avais craqué et heureusement qu'elle m'aime bien, parce qu'elle a pris ça à la rigolade et m'a dit qu'elle appréciait mon dévouement mais que ça irait. Je me suis senti bien débile et ça m'a découragé pour le reste de la matinée. J'étais tout morose.

     

          Le midi, j'ai lu le message d'Alixe. Je me sentais trop déprimé pour faire quelque chose de spécial.

     

          Ah oui, petite pause avant de continuer. Vous devez être en train de vous dire que c'est quand même sacrément débile de :

     

    1. Avoir cru à un pseudo-rêve prémonitoire

    2. Être déprimé pour si peu

     

          Mais il faut savoir que la petite voix de mon estomac s'était tue elle aussi et j'avais limite l'impression d'avoir halluciné la journée de la veille tellement j'étais persuadé d'être devenu particulier sur le moment ! C'est aussi pour ça que j'ai ressenti le besoin d'écrire à Alixe. Je pense que j'avais envie de croire que je n'étais pas seul dans mon délire. Je n'ai pas été déçu.

     

    « De : Lyx

     

    Yo ! Bien dormi ? Faut que je te raconte, ça a recommencé. J'ai encore rêvé de toi (pas de blague foireuse – merci). Mais là ça va moins te plaire : tu te faisais grave recaler à ton boulot. Je sais pas trop pourquoi ni comment mais c'était un peu genre « il me veut quoi lui ? ». Et puis j'ai fait un deuxième rêve un peu après, mais j'étais une vache et je crois pas que ce soit lié. J'espère PAS en tous cas !!! Bref, du coup fais rien de stupide parce que dans le doute que ce soit vrai … J'espère que non mais bon. Je peux te dire que dans mon rêve t'avais pas trop d'aura comme la dernière fois. Alors comme je pense que t'es capable de vouloir retenter le coup du confit de canard, réfléchis-y à deux fois okay ?

     

    Ah oui, tant que j'y pense : à la fin du rêve, tout le monde riait autour de toi au boulot, en mode moquerie. Je ne sais pas trop pourquoi mais t'avais l'air d'avoir une sacré poisse en tous cas ! Quelque chose me dit que tu vas pas passer une super journée, essaye de faire attention à toi. »

     

          Hmm … Au moins, on ne pouvait pas dire que j'avais été influencé par ses rêves cette fois ! J'avais bien eu la poisse qu'elle décrivait mais avant même de savoir qu'elle l'avait prédit. Je me suis promis de ne surtout rien faire ou dire d'inconsidéré l'après-midi. Cette histoire commençait à devenir franchement étrange et peut-être même flippante : est-ce que j'avais envie de savoir à l'avance quand il allait m'arriver un truc pourri ? Et si jamais Alixe apprenait un truc grave, et qu'elle me le disait, pouvais-je l'éviter ?

     

          Je n'ai pas vraiment eu le loisir de réfléchir à ces questions jusqu'à la fin de la journée, parce que les clients se sont bousculés. Mon soulagement c'est qu'il ne m'est rien arrivé d'humiliant ni de dégradant et je me suis dit que ma poisse était restée cantonnée au matin. Peut-être même que ça n'avait aucun rapport ! J'avais envie d'arrêter de me faire des films et de me calmer par rapport à tout ça. C'était juste du gros n'importe quoi, clairement. J'ai un peu ragé contre moi-même pendant le trajet du retour, mais en coupant le contact, au moment de sortir de ma voiture, je me suis rendu compte que la petite voix était revenue. Je la sentais là, bien au chaud, qui chantonnait « pas si vite … ». Tout à coup, je me suis senti épuisé par tout ça et ces phénomènes que je ne comprenais pas mais qui me semblaient si réels alors que la veille à peine, j'étais juste un mec normal. Je suis allé me coucher directement après le repas et j'ai demandé à Alixe de ne pas me faire part de ses rêves si elle en refaisait le lendemain. Je lui ai dit que je pensais qu'on s'était un peu emballés et que tout ça, c'était n'importe quoi. Elle a eu l'air un peu vexé mais j'avais pas la force de discuter, j'ai balancé mon portable sur le canapé à côté de mon lit et je me suis endormi comme une masse.

     

    ***

     

          Les jours qui ont suivi, et jusqu'au week-end, j'ai fait de gros efforts pour ne plus penser à tout ça. La révélation que j'avais eue devant la télé était toujours quelque part dans un coin de ma tête et je ne voulais pas en démordre : j'avais envie de devenir quelqu'un de génial ! Mais je ne voulais pas devenir quelqu'un de schizophrène du sternum et dont la meilleure pote est capable de prédire l'avenir. J'ai laissé filer le temps et il ne m'est rien arrivé de bizarre. Je me suis quand même dit que j'avais dû mettre Alixe bien en colère, parce qu'elle ne m'écrivait plus du tout depuis mon dernier message. Mais je n'avais pas envie d'en reparler avec elle pour le moment. En plus, ses rêves allaient probablement se calmer quand elle arrêterait d'y croire.

     

          Comme j'avais un week-end de trois jours et que j'en profitais pour aller voir des amis pas loin de chez elle, je me suis douté qu'elle voudrait qu'on se voie, alors j'ai évité de lui dire. Oui, je sais, c'est pas hyper cool. Mais en même temps il faut me comprendre, je n'avais vraiment pas envie de me prendre la tête là, et j'étais certain que ce serait le cas si on se voyait. D'abord parce qu'elle serait en colère, et ensuite parce qu'elle voudrait en reparler absolument.

     

          Je me suis donc préparé à passer le week-end chez mes potes. Mais au moment de partir, mon petit-frère est arrivé près de ma voiture. Il était étrange, sa démarche était raide et ses yeux regardaient droit devant lui, dans le vague. Quand il est arrivé à ma voiture il s'est planté devant moi et a commencé à débiter des petites phrases comme un automate. Sa voix était différente. En fait, elle ressemblait à celle qui résonnait en moi.

     

    - Quelque chose a changé, que tu le veuilles ou non. C'est tombé sur toi et c'est comme ça. Tu ne peux pas fuir. Tu dois assumer ce que tu as voulu devenir. Tu ne peux pas m'ignorer. Je te rappellerai toujours mon existence. Tu vois ce que je peux faire. Tu ferais mieux d'arrêter d'ignorer ton amie. Autour de toi certaines choses vont se produire. Tu ne seras bientôt plus le seul concerné. Tes proches y seront mêlés. Elle seule peut savoir comment. Toi seul peut intervenir sur ces événements. Ils se déroulent autour de toi. Ils gravitent autour de toi. Sois prudent. Sois courageux. Ne fuis plus.

    - Qu'est-ce que tu racontes, ai-je commencé en profitant d'une pause dans son monologue. Qui … Qui es-tu ?! C'est quoi ce délire à la fin ?? Je suis en train de péter un câble ou quoi ? C'est une blague c'est ça ? C'est pas drôle okay, là ça commence à être flippant !

    - Tu sais que c'est vrai, pourtant, s'est amusée la petite voix – dans ma tête cette fois.

    - Okay. D'accord. Je deviens fou ça y est c'est sûr cette fois. Je suis fou. Je vais forcément reprendre mes esprits ou alors … Il va se passer un truc. On va m'interner.

     

          Plus je parlais à voix haute, plus je perdais pied. Je me suis senti totalement dépassé par les événements, je ne me reconnaissais plus du tout. J'avoue que j'ai totalement paniqué. Qu'est-ce que ça voulait dire ?! J'étais en train de carrément craquer, avec les larmes aux yeux et tout le bazar, quand j'ai entendu les graviers de l'allée crisser et un bruit de moteur. Quand j'ai reconnu le rouge pétant de la voiture d'Alixe, j'ai cru que j'allais mourir de soulagement. Jamais je n'aurais pensé être aussi heureux de la voir ce week-end là, finalement ! Elle s'est garée totalement à l'arrache et a bondi hors de sa voiture sans même prendre la peine de fermer la portière. Elle s'est précipitée vers moi et m'a sauté dans les bras l'espace d'une seconde avant de se reculer et de prendre mon visage entre ses mains pour me regarder droit dans les yeux. Elle a hoché la tête et s'est accroupie devant mon petit-frère. Elle a vissé son regard dans le sien, toujours vague. D'une voix autoritaire, elle a lui a ordonné de revenir avec nous, et elle a claqué des doigts juste à côté de son oreille. Il a vacillé mais j'ai eu le réflexe de le retenir avant qu'il ne tombe et là, comme si de rien n'était, il a cligné des yeux et affiché un immense sourire.

     

    - Aliiiiixe ! Je ne savais pas que tu venais à la maison ce week-end ! C'est trop bien !

    - Haha désolée de te décevoir mais je rentre chez moi, je suis juste passer t'emprunter ton grand-frère, ça marche ?

    - Ooh … Trop nul, bouda-t-il. C'est pas juste, je vais encore rester tout seul …

    - Vois le bon côté, a-t-elle continué en lui ébouriffant les cheveux, tu vas avoir la console rien que pour toi et en plus Matt m'a dit qu'il ferait des parties avec toi en rentrant !

     

          Elle m'a fait signe d'approuver, alors j'ai hoché la tête. En vérité, j'étais trop choqué pour réfléchir et je voyais cette scène irréelle se dérouler sous mes yeux. Elle a dû réussir à convaincre mon frère de l'avantage qu'il retirait de la situation, parce qu'il est rentré dans la maison sans broncher en nous disant au revoir de la main. Elle s'est tournée vers moi dès qu'il a eu refermé la porte, et ses sourcils étaient froncés d'inquiétude.

     

    - Est-ce que ça va ?

    - Non. Clairement, non. Alors on va aller dans ma chambre et tu vas tout m'expliquer sur ce qui vient de se passer et me jurer que je ne suis pas juste en train de devenir taré !

     

          Elle a acquiescé d'un air grave et a posé sa main sur ma joue. Ce contact réel et concret m'a un peu rassuré. Je n'étais plus seul. Plus seul avec cette voix inquiétante.

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